Réserve naturelle de la forêt de la Massane

Armillaire et vieux fagus © RNN Forêt de la Massane
Historique
Depuis plus d’un siècle, la forêt de la Massane n’est plus exploitée et les processus de vie et de mort de cet écosystème s’accomplissent librement. C’est vers 1885 qu’un ingénieur des eaux et forêts décida de suspendre les coupes afin de protéger les sols et les sources de la haute vallée. Elle a été pourtant pendant longtemps exploitée notamment pour satisfaire en charbon de bois les forges catalanes.
Ce site a depuis longtemps attiré les naturalistes et de vieilles archives font référence au passage de Joseph Piton de Tournefort (1656-1708), botaniste de Louis XIV, qui a certainement herborisé à la Massane, il y a près de 300 ans. Mais c’est surtout depuis la fondation par Henri de Lacaze Duthiers en 1882, du Laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer, que grâce aux travaux de nombreux scientifiques, la forêt de la Massane est devenue une des stations classiques de la zoologie internationale, au même titre que la forêt de Fontainebleau.
Dans les années 50, le développement touristique de la côte catalane constitue une importante menace pour la forêt de la Massane qui fait partie du territoire d’Argelès-sur-Mer. Protecteurs de la nature, scientifiques et éleveurs demandent la protection du site qui n’aboutira qu’en 1973, par la création d’une réserve naturelle. Elle protège aujourd’hui 336 ha du massif de l’Albera, le dernier chaînon des Pyrénées catalanes avant la Méditerranée.
Intérêt patrimonial
Grâce aux nombreuses investigations scientifiques, nous disposons aujourd’hui d’un inventaire de plus de 5 300 espèces. Plus de 500 citations bibliographiques font référence à la forêt de la Massane. Une soixantaine de publications présentent les travaux menés sur la réserve naturelle. C’est un site bien connu.
Au contact de la péninsule ibérique, à une trentaine de kilomètres des hauts sommets pyrénéens et à seulement quatre kilomètres à vol d’oiseau de la Méditerranée, le site est soumis à diverses influences : ibériques, montagnardes, méditerranéennes. Cette situation de «carrefour biogéographique» explique la diversité des milieux et des espèces mais c’est surtout la présence de milieux liés à l’ancienneté et au degré de naturalité de la forêt qui font de la Massane un site à forte biodiversité.
Depuis que la forêt n’est plus exploitée, les arbres morts sur pied ou tombés à terre, mais aussi les arbres vivants abattus par les tempêtes, dont la décomposition plus ou moins rapide aboutit aux complexes saproxyliques, sont investis par une grande diversité de formes de vie : champignons lignicoles, bactéries, moisissures, protozoaires, microfaune et arthropodes. Les complexes saproxyliques jouent ainsi un rôle important dans le maintien d’une diversité d’espèces riche et originale. A la Massane, sur près de 1 400 espèces de Coléoptères inventoriées, 37% sont liées aux complexes saproxyliques. Les Diptères sont également bien représentés dans ces milieux. Les microarthropodes du sol et principalement les Acariens et Collemboles sont quantitativement les plus nombreux, et pour ces Invertébrés aussi, on rencontre des espèces strictement inféodées et adaptées à ces milieux. Dans une forêt comme celle de la Massane cette faune subsiste alors qu’elle a disparu de la plupart des forêts entretenues. La gestion forestière courante qui déprécie et exclut le bois mort est ainsi dommageable à la biodiversité.
La forêt de la Massane abrite 4 des espèces de Coléoptères inscrites dans les annexes II et IV de la directive européenne. Ces espèces patrimoniales ne doivent pas nous faire oublier que la survie de nombreux autres groupes bien souvent moins étudiés dépend aussi de la présence de complexes saproxyliques.
La dégradation de l’arbre mort est donc source de vie pour une multitude d’organismes mais aussi pour la forêt dans son ensemble. Les éléments minéraux restitués dans le sol au terme de cette dégradation seront remis à la disposition des autres végétaux et de la régénération à venir.
La Massane est un bel exemple de forêt non exploitée permettant de sauvegarder une riche biodiversité mais elle est aussi un laboratoire de recherche scientifique fondamentale pour connaître et comprendre le fonctionnement des écosystèmes forestiers, leurs perturbations et leurs mécanismes de régulation.
Gestion du site
La gestion du site repose sur la libre expression de l’écosystème forestier.
Pérenniser l’activité scientifique de recherche et diffuser les connaissances sont les principaux axes de gestion sur ce site.
Le voisinage de stations balnéaires surfréquentées rend la gestion d’un tel site délicate. Un espace de telle qualité risque de se transformer rapidement en lieu de consommation touristique. Afin d’éviter une affluence trop importante, la politique du gestionnaire consiste en la non-promotion du site. C’est par d’autres biais, notamment les animations hors-site, que la réserve divulgue ses messages de protection.
Avec une importante connaissance de la faune et de la flore, un passé et un acquis scientifique en faisant une station de référence au niveau international, la réserve naturelle de la Massane doit aussi être porteuse d’un message pédagogique fort : celui de la nécessité de maintenir des noyaux forestiers non exploités tant pour la conservation d’un cortège d’espèces originales et liées au fonctionnement naturel de la forêt que pour les enseignements que les gestionnaires peuvent en tirer.